L’homo civilitus s’habitue à tout. Ils sont deux oliviers centenaires plantés sous des cubes de verre, pièces maîtresses de la façade d’un restaurant branché dans une station prisée de la côte Belge. Ambiance grisée de bois flotté à l’intérieur, raffinement des gris et des taupes, minimalisme de bon aloi, austérité douce et blanche …j’ai l’impression de caresser les Alpilles. Foules sentimentales… On se laisse presque faire. J'entends mon voisin de table murmurer qu'on les offre en cadeaux "avec la villa" en Turquie.
On les a vus apparaître voici quelques années ; devenus produits d’appel, offrant à l’émotion des visiteurs de pépinières et autres jardineries la puissance symbolique de leurs ramures nouées taillées à la tronçonneuse et leur silhouette ramassée dans des conteneurs bien trop étroits, à des prix vertigineux… Pour décrire ma première réaction, je laisse la parole à cet anonyme, propos trouvés sur un site dont j'ai perdu la trace…il me pardonnera d’avoir emprunté ses mots s’il se reconnaît :
(Il s'était rendu à un anniversaire qui fêtait les 700 ans d'un domaine)
"Je reste scotché. Cet olivier aurait 700 ans; Par caprice un humain se permet d'acheter un arbre de 700 ans en Espagne et le fait planter dans le centre de la France, endroit où sa vie sera menacée par le gel.
Et si c'était rare et bien non; ces transactions sont nombreuses pour satisfaire les exigences stupides d'humains capricieux; acheteurs plus coupables que les vendeurs?
Les oliveraies méditerranéennes sont massacrées pour assouvir des envies d'exotisme.
Mais l'exotisme est relatif, dites vous bien qu'il y a, quelque part en Afrique, en Amérique du sud ou ailleurs, une personne qui rêve de faire pousser un chêne ou un hêtre chez lui, là où le climat tropical ne s'y prête pas.
Pour lui, cet arbre inaccessible est exotique.
Je regarde cet olivier, souverain déchu, qui finira sa vie, torturé par le gel hivernal.
Je pense aux tonnes d'olive produites et qui ont nourri des générations d'humains pendant des siècles. Aux amoureux qui ont griffé son tronc, aux enfants qui l'ont pris pour un château fort ou un bateau pirate.....
Voilà notre façon de le remercier. Ingratitude humaine en tout cas c'est certain que l'olivier ira rejoindre le chêne de Brassens au Paradis. »
On m’a rétorqué vivement à l’époque que c’était de la sensiblerie mal placée et que ces oliviers étaient de toute façon condamnés à une fin de vie autrement moins glorieuse -en assiettes décoratives : ils provenaient tous de l’arrachage d’oliveraies abandonnées pour cause de surproduction -et qu’il ne fallait pas regretter "l’inéluctable", ni assombrir le tableau. Le choix de l'arrachage et de cultures plus méritantes obéit aussi à des lois économiques que personne ne conteste quand cela fait vivre des régions entières.
« Au moins » nos envies de phénomènes pour parc d'attraction ou jardin narcissique lui permettraient de lui donner une fin de vie honorable. Mieux vaut les voir replantés dans un de ces nombreux et beaux jardins de la côte d'azur en pleine réhabilitation,après tout.
Mais cet espagnol en colère qui monte la garde la nuit auprès des siens pour cause d’arrachage sauvage ?
On me répond alors que ce sont des cas isolés et que la grande majorité des pépiniéristes garantissent la traçabilité de ceux qu’ils proposent à la vente…
Mais quel label? quelle traçabilité hormis la bonne mine et la parole du professionnel en question ???
Saluons cependant tous ceux qui prennent vraiment soin de leurs arbres et après arrachages de sujets encore jeunes (40 ans), leur permettent de faire de nouvelles racines dans des contenants adaptés. Et les problèmes de survie et de reprise ne sont pas les mêmes en Provence et dans la fraîcheur nordique évidemment. Quoique…les vieux oliviers des contrées arides du bassin méditerranéen arrachés à la hussarde ont parfois du mal à reprendre même dans le Sud: le climat de la côte d’azur par exemple leur paraît bien trop arrosé ! Chez nous c’est encore pire : il ne fait pas assez chaud, l’humidité ne leur convient pas en hiver, et la nature du sol non plus, d’autant qu’ils sont comme tous les végétaux : nés et habitués à vivre dans un environnement qui leur est propre, ils sont attaqués par des champignons, pourritures et autres opportunistes du stress dès qu’ils changent d’horizon (c'est la maladie dite de l'oeil de paon dont ils souffrent le plus). Mais le vieillard feuillu a de sérieuses réserves ; il pousse si lentement qu'il peut avoir l'air vivant pendant des années après arrachage:et qui pensera à demander des comptes au vendeur quand il aura rendu l'âme? Il sera bien difficile alors de faire valoir une quelconque garantie...
Les vieux sujets mutilés qui vous ont émus ne sont même pas de bonnes affaires- de coeur. Mais ça, les vendeurs se garderont bien de vous le dire. et puis le saule blanc ci-dessous avec son feuillage d'argent et sa ramure crevassée si rapidement vénérable chez nous serait un bien digne remplaçant si on daignait lui accorder un regard ! (voir article sur le blog)